Tristan dans la maison de
Nicolas,
Chroniqueur de la Reine
RÉCIT de Tristan
Dans un état proche de l’hébétude, je pensai aux mots de la Belle, les yeux mi-clos, tandis que le commissaire appelait aux enchères et que la foule hurlait, comme un torrent impétueux tout autour de moi. Pourquoi devions-nous obéir ? Si nous étions mauvais, si nous avions été condamnés à rejoindre ce lieu de pénitence, pourquoi devions-nous nous soumettre à quoi que ce soit ?
Ces questions – les questions de la Belle – résonnaient, au milieu des cris et des quolibets, de ce grand vacarme inarticulé, la voix véritable de la foule, pure brutalité qui renouvelait sans cesse sa propre énergie. Durant tout ce temps où je fus tâté, giflé, retourné, examiné, je m’agrippai au précieux souvenir de ce petit visage à l’ovale exquis, de ses yeux étincelants d’une indépendance irréductible.
Peut-être, dans cet étrange dialogue intérieur, ai-je trouvé un refuge contre l’ardente réalité de la vente aux enchères, trop atroce à supporter. J’étais mis à l’encan : tel était exactement le sort dont on m’avait menacé. Et les enchères s’élevaient de toutes parts.
J’avais l’impression de voir tout et rien et, dans un trouble moment d’éprouvant remords, je pris en pitié l’esclave écervelé que j’étais devenu, rêvant des jardins de ma désobéissance au château, et rêvant du village.
— Vendu à Nicolas, le Chroniqueur de la Reine.
Alors je fus traîné au bas de l’escalier, et debout, là, devant moi, se tenait l’homme qui m’avait acheté. Au milieu de toute cette cohue, de ces mains grossières qui giflaient ma queue dressée, me pinçaient, tiraient sur les boucles de mes cheveux, il avait l’air d’une flamme silencieuse. Drapé dans une parfaite immobilité, pénétré, il me souleva le menton, nos yeux se croisèrent, et, avec une sensation bouleversante et délicieuse, je songeai : oui, voilà mon Maître !
Exquis.
Si ce n’était l’homme lui-même, assez robuste malgré sa taille élancée, en tout cas, ses manières étaient exquises.
Le questionnement de la Belle heurtait sourdement à mes oreilles. Je crois avoir fermé les yeux un moment.
On me poussait et l’on me bousculait pour me faire traverser la foule, cent gardes-chiourmes m’enjoignaient de marcher, de lever les genoux, de hausser le menton, de garder cette queue en érection, tandis que, derrière moi, l’aboiement sonore du commissaire des enchères appelait l’esclave suivant à monter sur l’estrade. Le tumulte des vociférations m’enveloppa.
Je n’avais qu’entrevu mon Maître, mais cet aperçu m’avait suffi à mémoriser parfaitement tous les détails de sa personne. Plus grand que moi d’à peine quelques centimètres, il avait un visage carré, en dépit de sa maigreur, et une abondante chevelure blanche qui formait des boucles épaisses, tombant au-dessous des épaules. Il était bien trop jeune pour avoir les cheveux blancs, il avait presque une allure d’adolescent en dépit de sa grande taille, de l’expression pure et glacée, de ses yeux bleus aux pupilles remplies d’obscurité. Il paraissait bien trop magnifiquement vêtu pour le village, et pourtant il y en avait d’autres habillés comme lui, sur les balcons qui dominaient la place, à observer la scène dans des fauteuils à haut dossier installés devant les fenêtres ouvertes. Certainement des boutiquiers aisés et leurs épouses, mais lui, Nicolas, était le Chroniqueur de la Reine.
Il avait de longues mains, de belles mains qui, d’un geste presque nonchalant, m’avaient enjoint de le précéder.
Enfin, j’atteignis l’autre bout de la place, et supportai les dernières fessées brutales et les derniers pincements. Je me retrouvai, haletant, le souffle rauque, à marcher dans une rue vide, flanquée de part et d’autre de petites tavernes, d’éventaires et de portes fermées au verrou. Tout le monde était à la vente, vis-je avec soulagement. Et, par ici, tout était calme.
Rien d’autre que le bruit de mes pas sur les pierres et le claquement vif des bottes de mon Maître, derrière moi. Il était tout près. Si près que je le sentais presque effleurer mes fesses. Et puis j’éprouvai un saisissement sous la raclée d’une épaisse lanière, et au son de sa voix basse, tout près de mon oreille : « Levez-moi un peu ces genoux et tenez la tête levée, et en arrière. » Aussitôt, je me redressai, alarmé à l’idée d’avoir pu me laisser aller à perdre, dans une quelconque mesure, ma dignité. Ma queue se raidit, en dépit de la fatigue dans mes mollets. De nouveau, je me le représentai, si déroutant, ce visage jeune et lisse, la chevelure blanche et lumineuse, et la tunique en velours de belle facture.
Les rues sinuaient, se resserraient, s’assombrissaient un peu sous les toits très pentus qui surplombaient nos têtes. J’aperçus un jeune homme et une jeune femme qui venaient à notre rencontre, tout pimpants dans leurs vêtements propres et empesés, je rougis, et eux m’examinèrent soigneusement, de la tête aux pieds. Un vieil homme assis sur un tabouret devant le seuil d’une porte leva les yeux sur moi, le temps d’un coup d’œil.
Une fois encore, la ceinture me rossa un bon coup, juste au moment où le duo des jeunes gens se rapprochait pour se porter à notre hauteur, et j’entendis l’homme rire tout seul et murmurer :
— Un bel esclave que vous avez là, monsieur, et fort avec ça.
Mais pourquoi faisais-je tant d’efforts pour marcher d’un pas rapide, pour garder la tête haute ? Pourquoi étais-je saisi de nouveau par cette même sensation d’oppression ? La Belle, quand elle avait posé ses questions, avait eu l’air si rebelle. Je pensais à la chaleur de son sexe enserrant ma queue avec tant d’intrépidité. Cela, allié au son de la voix de mon Maître, qui de nouveau me pressait d’avancer, me rendait fou.
— Halte, fit-il soudain, et il me tira le bras d’un coup sec pour que je me retourne face à lui. À nouveauté pus voir ses grands yeux bleus et sombres, avec leurs pupilles noires, et sa bouche large et bien dessinée, sans le moindre plissement de moquerie ou de dureté. À quelque distance devant nous, plusieurs formes indistinctes firent leur apparition, et, lorsque je les vis marquer un temps d’arrêt pour nous observer, j’éprouvai la sensation redoutable d’une menace imminente.
— On ne vous a jamais enseigné à marcher au pas, n’est-ce pas ? remarqua-t-il, et il me força à relever le menton si haut que je gémis et qu’il me fallut déployer toute ma volonté pour ne pas me débattre, ne serait-ce qu’un peu. Je n’osai répondre. « Eh bien, pour moi, vous allez apprendre à marcher au pas », fit-il, et il me contraignit à me mettre à genoux, devant lui, dans la rue. Il me prit le visage dans ses mains et, ce faisant, tenait toujours la ceinture dans la main droite, et il me rabattit la tête en arrière pour me faire lever la figure.
À le regarder ainsi, d’en bas, je me sentais impuissant et rempli de honte. Je pouvais entendre le bruit que faisaient ces jeunes gens non loin de là, qui murmuraient et riaient entre eux. Il me força à avancer jusqu’à ce que je sente la bosse de son dard à travers ses hauts-de-chausses, alors, ma bouche s’ouvrit et je lui déposai des baisers fervents et appuyés sur la queue. Sous mes lèvres, elle revint à la vie. Et je sentis mes propres hanches remuer alors que je m’efforçais de leur imposer l’immobilité. Je tremblais de toutes parts. Sous la soie, sa queue palpitait comme un cœur. Les trois observateurs de la scène se rapprochaient.
— Pourquoi sommes-nous obéissants ? N’est-il pas plus facile d’obéir ? Ces questions me tourmentaient.
— Debout, maintenant, et quand je vous le dirai vous avancerez, et en vitesse. Et levez-moi ces genoux, fit-il.
Je me retournai pour me remettre debout, et la ceinture me frappa les cuisses. Lorsque je me mis en route, les trois jeunes gens s’écartèrent, mais je sentais bien toute leur attention posée sur moi ; des jeunes gens de peu, grossièrement vêtus. La ceinture me frappait à coups rapides et sourds, de vraies raclées. J’étais un Prince désobéissant jeté plus bas que des rustauds de village, pour que l’on jouisse de lui et, aussi bien, pour qu’on le punisse.
J’étais trempé, à cause de la chaleur et de mon trouble, et pourtant j’employais toute ma force à faire ce que l’on me demandait de faire, la lanière de cuir me léchait les mollets et le creux des genoux avant de me cingler violemment juste au-dessous des fesses.
Qu’avais-je dit à la Belle ? Que je n’étais pas venu au village pour résister ? Mais qu’entendais-je par là ? Il était en effet plus facile d’obéir. Je connaissais déjà l’angoisse d’avoir déplu, et il se pouvait fort bien que je me fasse de nouveau corriger devant tous ces garçons du commun ; il se pouvait fort bien que cette voix métallique se fasse entendre, mais cette fois empreinte de colère.
Qu’est-ce qui m’aurait apaisé – un mot gentil, en signe d’approbation ? J’en avais tant reçu de la bouche de Sire Etienne, mon Maître au château, et pourtant, délibérément, je l’avais provoqué, je lui avais désobéi. Aux premières heures du matin, je m’étais levé et, en toute impudence, j’étais sorti de la chambre de Sire Etienne. J’avais couru pour gagner les recoins les plus éloignés du jardin, là où les pages m’avaient découvert. À travers les feuillages touffus des arbres, je les avais entraînés dans une folle chasse. Et, lorsque j’avais été rattrapé, je m’étais défendu à coups de pied jusqu’à ce que, bâillonné et ligoté, on m’amène en présence de la Reine, et devant un Etienne en proie au chagrin et à la déception.
J’avais délibérément précipité ma déchéance. Et pourtant, au beau milieu de cet endroit terrifiant, de cette multitude railleuse et brutale, je me démenais pour conserver un peu d’avance sur la sangle de cuir, et pour un autre Maître. J’avais les cheveux dans les yeux. Mes yeux étaient baignés de larmes ; des larmes qui, cependant, n’avaient pas encore commencé de couler. Et la vision de cette ruelle tortueuse, avec ses enseignes et ses fenêtres miroitantes, se brouillait devant moi.
— Halte ! s’écria mon Maître, et ce fut avec gratitude que j’obéis, pour sentir ses doigts se refermer autour de mon bras dans un geste d’une tendresse singulière.
Derrière moi, il y eut le martèlement de plusieurs paires de souliers et une petite bouffée de rires masculins. Ainsi, ces misérables jeunes gens nous avaient suivis !
J’entendis le Maître s’écrier :
— Pourquoi nous surveillez-nous avec tant d’intérêt ? (C’était à eux qu’il s’adressait.) Vous n’avez pas envie d’assister à la vente ?
— Oh, il y a drôlement mieux à voir, monsieur, fit l’un des jeunes gens. Justement, on était en train d’admirer celui-ci, monsieur, les jambes et la queue de celui-ci.
— Est-ce que vous achetez, aujourd’hui ? demanda le Maître.
— Nous n’avons pas d’argent pour acheter, monsieur.
— Il va falloir qu’on attende de pouvoir aller aux tentes, répondit une seconde voix.
— Bon, venez par ici, leur fit mon Maître. (Horrifié, je l’entendis poursuivre :) Vous pouvez jeter un œil sur lui avant que je l’emmène à l’intérieur ; c’est une beauté.
Lorsqu’il me retourna pour me placer face au trio, j’étais pétrifié. J’étais heureux de devoir garder les yeux baissés, de ne rien voir d’autre que leurs bottes de peau jaunes et râpées et leurs hauts-de-chausses élimés et gris. Ils se rapprochèrent.
— Vous pouvez le toucher si ça vous chante, fit le Maître, et, en me redressant à nouveau le visage, il me dit : Levez les bras en l’air et tenez-vous fermement à ce crochet de fer, là, sur le mur, au-dessus de vous.
Je sentis le crochet qui saillait du mur avant même de le voir véritablement ; il était situé juste assez en hauteur pour que cela me force à me dresser sur la pointe des pieds afin de l’agripper. Je laissai un bon mètre d’espace libre derrière moi.
Le Maître se tint en retrait, croisa les bras, sa ceinture lustrée pendait au côté, et je vis les mains de ces jeunes gens qui se rapprochaient et, c’était inévitable, je les sentis palper mes fesses en feu, avant que ces mêmes mains ne me soulèvent les couilles et ne les tâtent délicatement La chair molle se ranima de sensations, de picotements, de frémissements. Je me trémoussai, guère capable de me tenir tranquille, et je fus piqué au vif par leurs éclats de rire instantanés. L’un des jeunes gens m’administra une gifle sur la queue, ce qui me fit sèchement rebondir.
— Regardez-moi cette chose, c’est dur comme de la pierre ! s’écria-t-il, et il la gifla de nouveau, et ce pendant qu’un autre garçon me soupesait les couilles en jonglant avec.
J’avalai à grand-peine la grosse boule que j’avais dans la gorge et je cessai de trembler. Je me sentais vidé de toute faculté de raisonner. Au château, il y avait eu ces chambres somptueuses exclusivement dédiées au plaisir, ces esclaves ornés avec autant de raffinement que des sculptures. Bien sûr, je n’avais pas cessé, de passer de main en main. Au campement, des mois auparavant, j’étais passé entre les mains des soldats qui m’avaient amené au château. Mais cette rue-ci était une rue pavée ordinaire, comme toutes les rues que j’avais pu connaître dans des centaines de bourgades, et je n’étais plus le Prince qui traversait ces rues sur son élégante monture, mais un esclave nu et sans défense qu’examinaient trois jeunes gens, devant des boutiques et des maisons où l’on trouvait des chambres à louer.
Le petit groupe allait et venait, échangeant les positions, et l’un de ces hommes me repoussa les fesses et demanda s’il pouvait voir mon anus.
— Mais comment donc, fit le Maître.
Je sentis toute force me quitter. Sur-le-champ, on m’écarta les fesses, exactement comme lorsqu’on m’avait vendu à l’encan, et je sentis un pouce ferme n’introduire en moi. Je tâchai d’étouffer un cri, qui tenait plus du grognement, et j’en lâchai presque le crochet du mur.
— Donnez-lui de la ceinture, si vous voulez, proposa le Maître, et je la vis, brandie dans sa main, juste avant que l’on ne me pousse à me tordre sur le côté ; puis, la ceinture me frappa les fesses avec violence. Deux des jeunes gens usaient toujours de ma queue et de mes couilles comme de jouets, tiraient d’un coup sec sur les poils et la peau de mon scrotum, le palpant sans ménagement dans le creux de leurs mains. À chaque lacération de douleur, j’étais secoué. Je ne pus m’empêcher à nouveau de gémir, alors que la sangle s’abattait plus fort entre les mains de ce jeune homme qu’entre les mains de mon Maître, et lorsque les doigts qui m’écartaient me touchèrent le bout de la queue je me rétractai de toutes mes forces pour en conserver la maîtrise. De quoi aurais-je l’air si je devais jouir entre les mains de ces jeunes rustauds ? Je ne pouvais supporter cette pensée. Et pourtant ma queue était d’un rouge profond, dure comme le fer, à force de tourments.
— Comment tu la trouves cette correction ? demanda celui qui se trouvait derrière moi en me passant le bras autour du menton pour le ramener vers lui d’un coup sec. Aussi bonne que celle de ton Maître ?
— Le divertissement est terminé, intervint le Maître.
Il s’avança, se saisit de la sangle de cuir, et ce fut d’un hochement de tête poli qu’il reçut leurs aimables remerciements, tandis que, moi, je me tenais là, debout et tremblant.
Cela n’était que le début. Qu’allait-il se passer, ensuite ? Et qu’était-il advenu de la Belle ?
Il y en avait d’autres qui passaient dans la rue. Je crus entendre un brouhaha estompé et distant, comme émanant d’une foule. П y eut la sonnerie bien reconnaissable d’une trompette. Mon Maître était en train de m’étudier, mais je baissai mes yeux, car j’éprouvais une violente émotion qui agitait ma queue de spasmes, et mes fesses se contractaient et se relâchaient en mouvements involontaires.
La main de mon Maître s’éleva jusqu’à mon visage. Il laissa courir ses doigts sur ma joue et dégagea quelques boucles de ma chevelure. Je pouvais voir la lumière poudreuse du soleil ricocher sur la grosse boucle de cuivre de sa ceinture et sur la bague de sa main gauche, dans laquelle il tenait, pendante, la robuste lanière de cuir. Le contact de ses doigts était soyeux, et je sentis ma queue se dresser en petites saccades honteuses et incontrôlables.
— Dans la maison, à quatre pattes, me fit-il d’une voix feutrée. Et il poussa la porte située sur ma gauche, pour l’ouvrir. Vous entrerez toujours de cette façon, sans qu’on ait à vous le dire.
Et je me retrouvai, à quatre pattes et en silence, à marcher sur un parquet impeccablement ciré, à traverser des pièces petites et encombrées, une maison qui avait l’allure d’un manoir miniature, une opulente maison de ville, pour être exact, avec de petits escaliers immaculés et des épées croisées au-dessus d’une petite cheminée.
Il faisait sombre, mais très vite je distinguai les tableaux magnifiques accrochés aux murs, portraits de Seigneurs et de Dames tout à leurs divertissements raffinés, avec leurs esclaves nus par centaines, placés de force dans mille et une positions, livrés de force à mille et une corvées. Nous dépassâmes une armoire basse et lourdement sculptée. Et des fauteuils à hauts dossiers. Puis le couloir se resserra, et tout autour de moi les murs se rapprochèrent.
Je me sentais énorme et vulgaire, à ramper ainsi, péniblement, au cœur de ce petit univers peuplé des richesses d’un bourgeois. Plus animal qu’humain, rien d’un Prince, assurément, et tout d’une vulgaire bête domestiquée. Pris d’un accès soudain d’inquiétude, j’aperçus au passage mon reflet dans un miroir finement ouvragé.
— Vers le fond, par cette porte, commanda mon Maître, et je pénétrai dans une alcôve située à l’arrière de la maison, où une petite villageoise tirée à quatre épingles, à l’évidence une servante, son balai en main, s’écarta lorsque je passai devant elle.
Je savais que j’avais le visage défiguré par le combat que j’avais mené. Et je fus tout à coup frappé par le sentiment de ce qu’était réellement la terreur dans ce village.
C’est que nous étions ici de véritables esclaves. Non pas des jouets dans un palais réservé aux plaisirs, à l’image de ces esclaves en peinture sur les murs, mais des esclaves, véritables et nus, dans une véritable bourgade, et nous souffririons, à chaque coin de rue, des œuvres de ces hommes du commun, au gré de leurs loisirs ou de leurs travaux, et je sentais croître mon agitation en même temps que le bruit de ma respiration de plus en plus pénible.
Mais voici que nous étions entrés dans une autre chambre.
J’avançai sur le tapis moelleux de cette nouvelle pièce, à la lumière mordorée des lampes à huile, et l’on me dit de me tenir immobile, ce que je fis, sans même essayer de placer mes membres dans une posture particulière, par crainte de la désapprobation.
D’abord, tout ce que je vis, ce furent des livres qui luisaient à la lueur des lampes. Des murs de livres, me sembla-t-il, tous reliés de fin maroquin et dorés à la feuille, une rançon royale assurément. Les lampes à huile étaient posées sur des guéridons çà et là, ainsi que sur une grande écritoire de chêne couverte de feuilles de parchemin. Des plumes d’oie étaient piquées toutes ensemble sur un plumier en cuivre. Il y avait aussi des encriers. Et enfin, tout en haut des rayonnages, d’autres tableaux miroitaient.
Et puis, du coin de l’œil, j’aperçus un lit placé dans un angle.
Mais le plus surprenant, dans cette pièce, mis à part les richesses inestimables qu’elle contenait sous forme de livres, c’était la figure vague d’une femme, qui se matérialisa lentement dans mon champ de vision. Elle était en train d’écrire à la table.
Je n’avais pas rencontré beaucoup de femmes qui sachent lire ou écrire, mises à part quelques grandes Dames. Au château, la plupart des Princes et des Princesses ne savaient même pas lire les affichettes annonçant quel était leur châtiment, suspendus à leur cou quand ils s’étaient montrés désobéissants. Mais cette Dame écrivait avec une grande célérité, et quand elle leva les yeux elle croisa mon regard au passage, avant que je ne baisse servilement la tête. Puis elle se leva de la table, et je vis ses jupes m’envelopper. Tout en elle semblait délicat, elle avait des poignets graciles et de longues mains aussi gracieuses que celles du Maître. Je n’osai lever les yeux, mais j’avais remarqué que ses cheveux étaient d’un brun foncé, qu’ils étaient séparés en leur milieu et retombaient dans son dos en cascades ondoyantes. Elle portait une robe d’un rouge bordeaux riche et soutenu, comme celle de l’homme, et un tablier d’un bleu profond. Les taches d’encre qu’elle avait sur les doigts m’intriguaient.
Elle me faisait peur. J’avais peur d’elle, et de l’homme qui se tenait debout, en silence, derrière moi, et de cette petite pièce silencieuse, et de ma propre nudité.
— Laissez-moi le regarder, fit-elle.
Sa voix, comme celle de mon Maître, était joliment timbrée et résonnait légèrement. Elle plaça les mains sous mon menton et insista vivement pour que je me dresse sur les genoux. Puis, de son pouce, elle caressa ma joue moite, ce qui eut pour effet de me faire rougir encore plus. Je baissai les yeux, comme de juste, mais j’avais eu le temps d’apercevoir ses seins saillants et haut perchés, sa gorge déliée, et un visage semblable à celui de l’homme, certes pas dans les traits, mais tout aussi serein et impénétrable.
Je passai les mains derrière la nuque, en espérant avec la dernière énergie qu’elle ne me torturerait pas le dard. Or, quand elle me pria de me lever, elle avait les yeux fixés sur lui.
— Écartez les jambes ; vous savez mieux faire que de simplement vous tenir piqué comme ça, fit-elle avec sévérité, en détachant bien ses mots. Non, très ouvertes, me corrigea-t-elle, jusqu’à ce que vous sentiez ces muscles des cuisses, ces muscles exquis. Voilà qui est mieux. C’est toujours ainsi que vous vous tiendrez debout lorsque vous vous trouverez en ma présence, les jambes largement écartées, presque tapi au sol, mais pas tout à fait. Et je ne vous le répéterai pas. Au village, nous n’avons pas pour habitude de dorloter nos esclaves en leur rabâchant nos ordres. Toute défaillance vous vaudra d’être sanglé à la Roue en Place publique.
Ces mots déclenchèrent un frisson qui me parcourut le corps, avec une étrange sensation de fatalité. Ses mains pâles semblaient presque réfléchir la lumière des lampes lorsqu’elles s’approchèrent de ma queue. Elle en pressa le bout, faisant jaillir une goutte d’un fluide à la couleur claire. J’en eus le souffle coupé, et je sentis l’orgasme près d’imploser, de parcourir tout mon organe pour s’écouler au-dehors. Mais, prise de miséricorde, elle relâcha mon sexe pour soulever mes couilles comme l’avaient fait les jeunes gens avant elle.
De ses petites mains, elle les palpa, les massa délicatement, les fit rouler, en avant, en arrière, dans leur fourreau, et la flamme vacillante des lampes à huile parut se dilater et troubler ma vision.
— Aucun défaut, trancha-t-elle en s’adressant au Maître. Splendide.
— Oui, c’est bien ce qu’il m’avait semblé, approuva le Maître. Sans conteste la pièce de choix du troupeau. Et, comme il était le premier à être mis en vente, le prix n’était pas si élevé. Je pense que s’il avait été vendu en dernier il aurait valu le double. Observez-moi un peu ces jambes, cette force qu’elles ont, et ces épaules.
Elle leva les mains et lissa mes cheveux en arrière.
— Je pouvais entendre la foule d’ici, dit-elle. C’était de la fureur. Est-ce que vous l’avez soigneusement examiné ?
Je m’efforçais de dominer ma peur panique. Après tout, j’avais passé six mois au château. Qu’est-ce qu’il y avait de si terrifiant dans cette petite pièce, dans ces deux bourgeois pleins de froideur ?
— Maintenant, il le faudrait. Nous devrions lui mesurer l’anus, fit le Maître.
Je me demandais s’ils étaient à même de percevoir l’effet que ces mots exerçaient sur moi. J’aurais voulu avoir pris la Belle une bonne demi-douzaine de fois pour qu’au moins ma queue obéisse mieux à mon autorité, mais cette seule pensée ne fit que m’enflammer davantage.
Figé dans cette posture honteuse, les jambes écartées, j’observais, impuissant, le Maître, qui se rendit vers l’un des rayonnages et tendit la main pour attraper une cassette recouverte de maroquin qu’il posa sur la table.
La femme me fit me tourner de sorte que je me trouve face à la table. Elle me baissa les mains et les plaça sur le rebord de la table, pour que je me penche en avant, le corps cassé en deux à hauteur de la taille, et, avec grand-peine, j’écartais les jambes autant que je le pus pour qu’elle n’ait plus à me reprendre.
— Et ses fesses à peine rougies, ça, c’est une bonne chose, constata-t-elle.
Je sentis ses doigts qui effleuraient les marbrures et les endroits douloureux de mon corps. De petits accès de douleur éclataient dans mes chairs, comme autant de flammèches dans mon cerveau, et juste devant mes yeux je vis le coffret de cuir, ouvert, d’où l’on retirait deux grands phallus gainés de cuir. L’un de ces deux phallus était, dirai-je, de la taille d’une queue d’homme, l’autre quelque peu plus grand. Et ce grand phallus était orné à sa base d’une longue touffe de poils noirs, une queue de cheval. Chacun d’eux était équipé d’un anneau, une sorte de poignée.
Je tâchai de me cuirasser. Mais, tandis que je fixais du regard cette masse de crin épaisse et brillante, mon esprit se rebellait à cette vue. On ne pouvait me forcer à porter une chose pareille, une chose qui me donnerait une allure plus vile encore que celle d’un esclave, une chose faite pour me donner l’air d’un animal !
La main de la femme ouvrit un bocal en verre rouge placé sur le bureau, et, lorsque je le remarquai, il me sembla que la lumière le frappait pour la première fois. Ses longs doigts récoltèrent une bonne noisette de crème et disparurent dans mon dos.
J’en ressentis la froideur contre mon anus, et je connus l’effroyable impuissance que j’avais toujours éprouvée chaque fois qu’on me touchait l’anus, qu’on me l’ouvrait. Avec délicatesse, mais promptement, elle étala l’onguent, pour bien m’en enduire la fente et l’intérieur même de mon anus, tandis que je m’efforçais de garder le silence. Je sentais sur moi les yeux froids du Maître ; et, contre moi, les jupes de la Maîtresse.
Le plus petit des deux phallus fut pris, et on le glissa en moi, d’un geste sec et ferme. Je frémis, je me tendis.
— Tss…, ne vous raidissez pas, fit-elle. Poussez avec vos hanches, oui, et ouvrez-moi ça. Oui, c’est bien mieux. Ne me dites pas que l’on ne vous avait jamais mesuré et que l'on ne vous avait jamais monté sur un phallus, au château.
Mes larmes jaillirent Mes jambes furent parcourues de violents tremblements et je sentis le phallus, d’une largeur et d’une dureté insoutenables, qui s’enfilait, et mon anus qui se contractait de spasmes. C’était comme si toute autre réalité était abolie, et, simultanément, comme si toute autre réalité avait été aussi débilitante, aussi mortifiante que celle-ci.
— Il est presque vierge, fit-elle, un véritable enfant. Sentez-moi ça.
Et, de la main gauche, elle me souleva la poitrine jusqu’à ce que je me tienne droit de nouveau, les mains derrière la nuque, les jambes traversées d’élancements, le phallus enfoncé profondément en moi, et sa main qui en assurait la prise.
Mon Maître me contourna pour passer derrière moi, et je sentis le phallus aller et venir. Je le sentais encore coulisser en moi, même aux moments où, à l’évidence, il le laissait ressortir. Je me sentais fourré, empalé. Et mon anus ? Une bouche, tremblotante et chauffée, autour de l’objet.
— Et pourquoi toutes ces jolies larmes ? (La Maîtresse se rapprocha de mon visage et, de la main gauche, le leva encore un peu plus haut.) Vous n’avez jamais subi d’essayages, auparavant ? me demanda-t-elle. Aujourd’hui même, on va vous ordonner d’en subir une quantité, avec toutes sortes d’ornements et de harnachements différents. Il est très rare que nous laissions un anus débouché. Allons, maintenant, gardez-moi ces jambes bien écartées. (Et, s’adressant à mon Maître, elle lui dit :) Nicolas, donnez-moi l’autre.
Avec un cri soudain, étouffé, je protestai du mieux que je pus. Je ne pouvais supporter la vue de cette masse épaisse et noire, de cette queue de cheval, et pourtant, lorsqu’elle la souleva de la table, je gardai le regard complètement fixé sur elle. Mais elle se contenta d’un léger rire et de me caresser à nouveau le visage.
— Là, là, fit-elle avec tendresse.
Et le plus petit des deux phallus fut ressorti de moi avec la vivacité de l’éclair, ce qui permit à mon anus de se resserrer, avec une sensation bizarre qui me fit ressentir des frissons dans tout le corps.
Elle m’appliqua un supplément de cette crème glaciale, mais cette fois elle m’en enduisit plus profondément, ses doigts m’écartant pour m’ouvrir bien grand, tandis que, de la main gauche, elle maintenait mon visage en l’air, et la pièce ne fut plus que lumière et couleur. Je ne pouvais voir mon Maître. Il était derrière moi. Et puis je sentis le plus gros des deux phallus me violer, m’ouvrir largement, et je gémis. Mais, encore une fois, elle dit :
— Poussez sur vos hanches, pour redescendre, ouvert. Ouvert…
J’avais envie de hurler : « Je ne peux pas », mais je sentis l’objet me besogner, aller, revenir, me distendre, et finalement se glisser à l’intérieur, et j’eus l’impression d’avoir un anus énorme, palpitant autour de cet objet gigantesque qui paraissait trois fois plus grand que ce que j’avais vu de mes yeux dans le coffret placé devant moi.
Mais il n’y eut pas de douleur aiguë – seulement l’intensification de cette sensation d’être ouvert et laissé sans défense. Et puis cette toison rêche qui me démangeait le derrière, que l’on soulevait, qu’on laissait retomber, à ce qu’il me semblait, dans une caresse d’une tendresse presque affolante. Je ne pouvais supporter cette image. Elle tenait le crochet et actionnait cette hampe géante en poussant vers le haut, si bien que je me tenais debout sur la pointe des pieds, du mieux que je pouvais. Alors, elle s’écria :
— Oui, excellent !
Et, sur ces douces paroles d’approbation, je sentis la boule dans ma gorge se dissoudre et la chaleur de mon visage et de ma poitrine se propager. Mon derrière enflait. Je me sentais propulsé par la chose, alors même que je me tenais immobile, et le contact agaçant et doux de la toison n’en était que plus mortifiant.
— Les deux tailles, remarqua-t-elle. Nous nous servirons des plus petites tailles, le plus souvent, pour l’usage courant, et des plus grandes tailles lorsque cela nous paraîtra nécessaire.
— C’est parfait, approuva le Maître. Je les enverrai chercher cet après-midi.
Mais elle ne retira pas le plus gros instrument pour autant. Elle observait très attentivement mon visage, je pus voir la lumière vaciller dans son œil, et, en silence, je ravalai un sanglot coincé dans la gorge.
— Maintenant il est l’heure de nous rendre à cheval à la ferme, fit le Maître, et ces mots paraissaient avoir été prononcés à mon intention. J’ai déjà commandé que l’on nous amène la voiture avec un harnais libre pour celui-ci. Pour l’heure, laissez-lui donc le grand phallus enfilé. Si nous voulons lui passer le harnais, il est bon pour notre jeune Prince qu’il soit maté comme il convient.
Et l’on ne me donna guère qu’une ou deux secondes pour réfléchir à ce que cela pouvait signifier. Sans plus tarder, le Maître posa une main ferme sur l’anneau du phallus et il me poussa en avant avec cet ordre : « Marchez. » La toison de crin me caressait et me chatouillait le creux des genoux. Et le phallus me donnait l’impression de s’introduire en moi comme s’il avait possédé une vie propre, de me tisonner et de m’aiguillonner.